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Happy Halloween ! L'histoire qui fait peur...


© MG

Reconnaissez-le, en ce 31 octobre, vous aimeriez bien avoir de nouveau huit ans pour revêtir votre plus beau costume de sorcière et vous goinfrer de bonbons. C'est d'ailleurs probablement ce que vous allez faire ce soir - c'est cool quand Halloween tombe un vendredi - en accompagnant vos Haribo de quelques verres de vin - finalement, ne plus avoir huit ans présente certains avantages.

Les Petites Rochelaises ont pensé à vous et vous offre en exclusivité une histoire effrayante : le genre que l'on aime se raconter pour l'occasion !

Bonne lecture et surtout, Happy Halloween !

***

"Cheese !"


C’était une de ces froides journées de novembre, de celles où la brume mêlée à la faible luminosité coiffe le paysage d’un chapeau humide et vaporeux. “Le temps idéal pour un enterrement”, pensa Jean-François en remontant le col de son manteau. Le cortège funèbre avançait lentement devant lui en direction d’une tombe ouverte : la dernière demeure de sa grand-mère de 95 ans, décédée trois jours plus tôt. Autour de lui, les arbres avaient déjà presque tous perdus leurs feuilles et présentaient leurs squelettes décharnés au contre-jour de fin d’après-midi. “Il ne va pas tarder à faire nuit” nota Jean-François. La petite quarantaine, il avait fait le déplacement depuis Paris pour accompagner sa grand-mère dans son ultime voyage ; mais aussi pour donner un coup de main, puisqu’il fallait vider la maison familiale vendue en viager quelques années plus tôt à des propriétaires pressés de s’y installer.

“Il ne reste plus que le grenier à débarrasser, c’est l’affaire d’une heure ou deux, tout au plus” lui avait assuré la cousine Marianne.

Une fois le cercueil déposé dans la tombe et les adieux d’usage prononcés, le cortège se dispersa rapidement et il ne resta plus que les quelques membres de la famille chargés du déblayage. Ils prirent silencieusement le chemin de la maison de leur aïeule, espérant que la tâche ne serait pas trop ardue et qu’ils pourraient tous regagner leur domicile dans la soirée. Heureusement, la cousine Marianne avait dit vrai : les trois chambres, la cuisine, le hall et le grand salon étaient déjà entièrement vides, étrangement spacieux sans leurs habituels meubles et autres souvenirs familiaux. Dans le grenier par contre, une de ces pièces sous les toits dans laquelle un adulte peine à tenir debout, ils découvrirent des dizaines de cartons entassés les uns sur les autres. Clara, la sœur de Jean-François, prit la direction des opérations :

“Nous allons ouvrir les cartons un par un : tout ce qui est bon à jeter part dans les sacs que j’ai mis de ce côté de la pièce, le reste dans les sacs que j’ai mis là. Une fois que nous aurons fini, nous nous répartirons les objets que nous souhaitons garder, les autres seront donnés aux bonnes œuvres. Bon courage !”

Jean-François prit deux sacs avec lui et rampa jusqu’au fond du grenier pour s’atteler aux cartons les plus éloignés de la sortie. La plupart des objets qu’ils contenaient étaient de vieux bibelots sans valeur ramenés de vacances, des vêtements usés et poussiéreux ; il trouva aussi une importante quantité de cartes postales et des paquets de lettres manuscrites reliées entre elles par une mince ficelle. Bientôt, il ne resta plus qu’un seul carton à examiner. En l’ouvrant, Jean-François ne put retenir un petit cri de surprise qui fit se redresser sa soeur et ses cousins.

“Celui-la est plein de photos du siècle dernier !” s’exclama-t-il en sortant de leur boîte des clichés en noir et blanc représentants des hommes et des femmes en tenue d’époque. Le style des photos lui fit immédiatement penser à l’époque victorienne. “Je crois que j’ai mis la main sur nos aïeules britanniques ! Ah ! Oui, c’est bien ça, derrière celle-ci, il est écrit “Brighton, 1870” !
- Elles sont lugubres ces photos, murmura la cousine Marianne qui s’était glissée près de Jean-François pour jeter un oeil à sa trouvaille. 
- C’est parce qu’à l’époque, il fallait poser longtemps sans bouger pour que la photo soit réussie, argumenta-t-il. Alors évidemment, personne ne sourit !
- Quand tu penses que tous ces gens sont morts aujourd’hui… Ça me fait froid dans le dos. En tous cas, je ne veux pas de ces photos chez moi.
- Tu m’en vois ravi car, moi, je les trouve fascinantes. Tous ces gens, comme tu dis, ont contribué à notre existence ! Il faut absolument que quelqu’un conserve ces reliques de notre famille, pas question de s’en débarrasser.
- Et bien, si personne n’y voit d’objection, repars donc avec !”

Jean-François interrogea l’assemblée du regard, qui lui accorda sans discuter la propriété du butin. Les cartons étant désormais vides, il ne restait plus qu’à descendre les sacs dans le hall. Après une rapide discussion, il fut convenu que la cousine Marianne, qui habitait sur le chemin de la déchèterie, prendrait avec elle les objets à jeter, quant à Clara, elle se chargerait de ceux à déposer aux bonnes oeuvres. Tous furent ainsi libre de partir.
Assis dans sa voiture à l’arrêt, Jean-François décida de se repasser les photos avant de prendre la route. Il faisait nuit noir désormais, et la lumière du plafonnier donnait aux aïeuls un air encore plus fantomatique que dans le grenier. Soudain, l’un des clichés retint l’attention de Jean-François. Il s’agissait de deux jeunes femmes en longues robes sombres, l’une assise sur une chaise, l’autre debout à sa droite. Contrairement aux photos précédentes, leurs visages étaient particulièrement nets. Au verso, quelqu’un avait écrit “Amelia & Margareth, June 1870”. Ces deux prénoms firent écho à un souvenir lointain que Jean-François pensait avoir oublié. Amelia et Margareth, ne s’agissait-il pas de ces deux soeurs au destin tragique dont sa grand-mère lui avait autrefois parlé ? Piqué par la curiosité, il sortit fébrilement son téléphone portable et appela sa soeur Clara.

“Je suis au volant JF, dit-elle sans préambule. Que se passe-t-il ?
- Rien de grave mais, dis-moi, est-ce que les prénoms Amelia et Margareth te parlent ?
- Hors contexte comme ça, non, pourquoi ?
- J’ai une photo sous les yeux là, des ancêtres à nous, Amelia et Margareth. Mamie ne nous avait pas raconté un truc à leur sujet ?
- Ah oui ! Les soeurs noyées ! Oui je m’en souviens. Elles se sont noyées dans un lac, alors que toute leur famille pique-niquait sur le bord, Elles avaient nagé trop loin et avaient coulé d’épuisement. Un drame familial. Mamie nous avait raconté ça pour nous foutre la trouille un jour où on avait trop chahuté dans la piscine. 
- Tu sais si Mamie connaissait la date du drame ?
- Oula non je n’en sais rien. Demande à l’oncle Georges, il a beaucoup travaillé sur l’arbre généalogique britannique de la famille, il devrait avoir l’info. Je te laisse JF, il fait noir comme dans un four, j’ai pas envie d’avoir un accident. Bonne soirée !”

Décidé à en savoir plus, Jean-François consulta son répertoire et fut ravi de constater qu’il possédait le numéro du fameux Georges. Ne se voyant pas appeler cet oncle avec qui il ne communiquait presque jamais, il opta pour un texto : “Bonjour Georges, j’espère que tu vas bien. Je viens de trouver dans le grenier de Mamie Louise (ses obsèques se sont déroulées aujourd’hui) un carton plein de vieilles photos de nos ancêtres anglais, dont un portrait de Margareth et Amelia, les soeurs noyées. Sais-tu en quelle année le drame a eu lieu ? La photo est datée de juin 1870. Merci d’avance pour ta réponse. Bises. JF”
Après un dernier regard au portrait - décidément, le cliché était excellent, et les regards des deux soeurs particulièrement pénétrants - Jean-François mit son moteur en marche et prit la route de Paris. Trois heures plus tard, il entrait enfin dans son petit appartement du sixième arrondissement, dans lequel il vivait seul depuis son divorce quelques années plus tôt. Alors qu’il allait se mettre au lit, il fut surpris de recevoir une réponse de son oncle. “Drame eut lieu en juin 1870 justement. Très intéressé par photo. Possible m’envoyer copie ?” Jean-François ne se fit pas prier et lui envoya immédiatement la photo recto verso par texto. Il ne s’écoula que quelques petites minutes avant que son téléphone ne vibre de nouveau. “Étonnant. Savais pas que photo existait. Sûrement prise juste avant le drame. Possible voir les autres ?” Comme il était tard et que Jean-François tombait de sommeil, il se contenta de lui répondre qu’il se chargerait de lui copier tous les clichés le lendemain. Il posa le tas de photos sur sa table nuit, observa encore longuement le portrait des deux soeurs, puis, il éteignit la lumière et s’endormit. 

Quelques jours plus tard, ne se lassant pas de regarder Amelia et Margareth, Jean-François décida d’acheter un cadre aux dimensions de la photo pour l’exposer dans son salon. Quelque chose de fort se dégageait de ces deux jeunes femmes, au point qu’il avait l’impression de pouvoir saisir au fond de leur regard une pointe de leur âme, passée à la postérité grâce à la magie de la photographie. Il se demandait ce qui avait bien pu leur traverser l’esprit alors qu’elles posaient, ne se doutant pas une seconde de la mort tragique qui les attendaient à peine quelques jours plus tard. Figées pour l’éternité dans la fraîcheur de leur jeunesse, elles se tenaient droites, parfaitement immobiles, délicates et raffinée dans leurs robes corsetées aux manches de dentelles blanches, les cheveux soigneusement coiffés en chignons sages. Amelia et Margareth devinrent ainsi partie intégrante du décor de l’appartement de Jean-François.

Devenu vieux et ne se déplaçant plus que rarement, Jean-François fit un jour appel à un médecin libéral pour se faire vacciner contre la grippe. Ils s’installèrent dans le salon, et le docteur ne tarda pas à remarquer la fameuse photo dans son cadre. Comme il n’arrêtait pas d’y jeter des coups d’oeil furtifs, Jean-François lui demanda : “La photo de mes ancêtres vous intrigue-t-elle ?
- Je dois dire que c’est la première fois que je vois ce genre de photo exposée dans un salon.
- Ah bon. Je ne pensais pourtant pas être le seul à m’intéresser à mes ascendants.”
La réponse de Jean-François surprit manifestement le médecin qui, d’une voix hésitante, poursuivit : “Si je ne m’abuse, cette photo date de l’époque victorienne ? 
- Tout à fait. 1870 pour être exact. Elle a été prise quelques jours avant un terrible drame qui leur coûta la vie. 
- Quel genre de drame ?
- Elles se sont noyées.”
Le médecin se racla la gorge et se redressa sur son siège. 
“Je ne sais pas si je dois vous le dire mais… savez-vous que cette photo n’est pas tout à fait… normale ?
- Comment ça ?”
La réponse tarda à venir. La tension était palpable entre les deux hommes, l’un se tortillant sur sa chaise, clairement gêné, l’autre suspendu à ses lèvres dans l’attente de la révélation qu’il commençait à craindre.
“Et bien… vous savez, au dix-neuvième siècle, les photos étaient encore assez rares… Peu de gens y avait recourt. Cela coûtait cher, le temps de pause était long… Du coup, il arrivait régulièrement que, lorsqu’un drame frappait une famille, il n’existât aucun souvenir du défunt. Il se développa alors une tradition qui, d’aujourd’hui, peut paraître particulièrement macabre. Mais il faut se mettre à la place des gens d’autrefois. 
- Où voulez-vous en venir ?
- Afin de garder un souvenir des disparus, il était courant de les prendre en photo après leur mort. 
- Sur leur lit de mort ? 
- Pas forcément, bien que cela existe oui… En fait, beaucoup de familles faisaient plutôt le choix d’une photo sur laquelle les morts semblaient en vie. Grâce à des sortes de tuteurs conçus exprès pour cela, les corps étaient maintenus droits, debout ou assis, et on leur faisait prendre la pause. On exposait parfois à côté d’eux des cierges ou bien des fleurs pour rappeler la mort, mais pas toujours…”
Jean-François déglutit et sentit un fluide glacé lui parcourir l’échine. Se pouvait-il que ?
“Sur certains clichés, il est même difficile de distinguer les morts des vivants, qui, dans certains cas, posaient côte à côte. Il existe cependant quelques éléments permettant de les identifier.”
Tout en parlant, le médecin s’était levé et avait marché jusqu’au mur sur lequel était accroché le portrait d’Amelia et Margareth. 
“Sur cette photo par exemple, on est frappé par l’impressionnante netteté des visages. Pas facile pourtant de rester parfaitement immobile, sans cligner des yeux pendant les dix, quinze, voire trente minutes nécessaires au temps de pause ! Sauf quand on est mort, bien entendu… En regardant bien, on aperçoit aussi derrière les bottines de cette jeune femme à droite, une partie de la machine qui permet de la faire tenir debout. Quand à celle-ci à gauche, voyez comme la peau de son visage s’affaisse. C’est l’un des signes cliniques de la mort. Vous me dites que ces deux jeunes filles se sont noyées ? Nul doute que cette photo a été prise juste après le drame, en souvenir de ce qu’elles avaient été… Je dois dire que le cliché est vraiment très réussi, difficile au premier coup d’oeil de s’apercevoir de la supercherie.”
Jean-François resta silencieux, sous le choc. Il avait si souvent observé cette photo, persuadé d’avoir devant lui le portrait de deux jeunes femmes bien vivantes, et tout ce temps là, il avait plongé ses yeux dans le regard de cadavres ? Voyant le trouble de son patient, le médecin se voulut soudain réconfortant :
“Vous leur avez rendu un bel hommage en les croyant vivantes, car, n’était-ce pas ce que souhaitait la famille à l’époque de la photo ? Conserver pour toujours le souvenir de leurs chères disparues ? Au fond, est-ce bien différent que de garder des clichés de personnes décédées, eussent-elles été vivantes au moment de la photo ? Les images nous mentent, c’est un fait. Mais c’est encore le meilleur moyen que nous ayons trouvé pour rester dans les mémoires.” 

***

Ça vous a plu ?
Sachez que la tradition des photos post-mortem de l'époque victorienne existe réellement... Faites-donc un petit tour sur Google pour en savoir plus. Pour info, voici la photo qui m'a inspirée :

Laquelle des deux est la défunte ? Apparemment, c'est celle de gauche... © DR

En espérant que vous ne ferez pas de cauchemar :)

Marion Guillou

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